Violette grandit et fait
(enfin !) des siestes qui me permettent de prendre le temps de lire et d’écrire.
Pendant ce temps, Matthieu
grandit aussi de manière spectaculaire. Ce sont d’abord ses pieds qui m’ont
impressionnée, passant en quelques mois du 39 (ma pointure), au 43 (celle de
son papa)…Puis un fin duvet (si, si, déjà !) s’est dessiné au bord de sa
lèvre supérieure. Ça, ça m’a fait vraiment bizarre mais j’ai fait tout mon
possible pour n’en rien laisser paraître. Et je ne parle même pas de sa taille !
Matthieu a toujours été très grand pour son âge, mais là, à 12 ans, il dépasse
d’une tête au moins les trois quart de ses congénères. Il est presque aussi
grand que moi.
Quant aux transformations
plus intimes, je me contenterai de dire que Matthieu semble très bien les
négocier, avec pudeur mais sans peurs. S’il pouvait éviter de hurler quand, en
été, j’ose une robe, un débardeur ou, pire, un maillot de bain, par crainte d’hypothétiquement
apercevoir quelque chose qui pourrait ressembler à un morceau de sein, je
pourrais dire qu’il aborde la puberté et l’adolescence incroyablement bien pour
un enfant (oups, un (pré)ado) autiste.
Nous avions essayé de
préparer le terrain depuis des années en expliquant à Matthieu les
transformations inéluctables qu’allaient connaître son corps. Il avait
accueilli ces informations d’une manière déconcertante, à savoir en se mettant
à parler d’une voix très grave et affectée. Depuis près de deux ans environ, il
s’exprime ainsi, avec une « voix d’ado »
comme je le lui dis parfois, ce qui a le don de l’agacer. Maintenant que nous
sommes vraiment au seuil de son adolescence, je me dis que c’était sa manière à
lui d’anticiper le cours des choses pour se rassurer. Essayer d’avoir une
emprise sur la mue, aussi artificielle (et inutile !) soit-elle, l’aide
sans doute beaucoup.
Bref, j’observe ces
changements, avec circonspection parfois, il faut bien l’avouer, mais je me
répète en boucle que je ne dois surtout pas tout gâcher en faisant la moindre
remarque à ce sujet. Matthieu ne veut plus me faire de câlins (« Je suis
trop grand, maman ! ») : tant pis. J’apprends à respecter son
espace intime et je suis heureuse de faire, pour une fois concernant Matt, les
mêmes expériences que les autres mamans.
Il y a quelques mois, Matthieu
a eu une petite copine –je n’en reviens toujours pas ! Il a traversé des
moments difficiles car l’autisme reste toujours là malgré ses progrès et il
avait beaucoup ritualisé leur relation. Quand il ne recevait pas un bisou sur
la joue à sa descente du bus, par exemple, il pleurait en cours, ce qui,
évidemment, n’était socialement pas acceptable. Handicapé par l’autisme dans le
décodage des intentions des autres, il avait encore plus de mal qu’un autre à
comprendre les subtilités du comportement et du discours d’une pré-ado : « aujourd’hui,
je préfère être avec mes copines qu’avec toi » ; « je ne suis
plus sûre d’être amoureuse mais peut-être que si quand même »…. AVS,
surveillantes et parents (quand nous avons été mis au courant) ont essayé de
lui expliquer les subtilités en question. En douceur et à gros renfort de
pourcentages –les statistiques sont ses meilleures amies-, nous lui avons fait
comprendre que la probabilité que son amoureuse de 6ème soit sa
vraie amoureuse pour la vie était proche de zéro. Un jour, sa petite amie
redeviendrait une amie tout court, c’était presque sûr. Quand c’est arrivé,
après quelques péripéties, Matthieu a décrété qu’elle n’était qu’une « manipulatrice »
(la pauvre ! Où a-t-il trouvé cela ?!) et est redevenu parfaitement
serein. Au final, j’ai été rassurée, d’une part, de voir qu’il pouvait
présenter tous les symptômes de l’amour, d’autre part, de constater qu’il
pouvait encaisser une grosse déception sentimentale.
Pour en revenir à l’adolescence,
j’ai délaissé mes sempiternels bouquins sur l’autisme pour me plonger dans un
ouvrage sur l’adolescence de Natalie Levisalles intitulé L’ado (et le bonobo). Essai sur un âge
impossible, paru chez Hachette littératures en 2010. J’ai dévoré cet essai
au style drôle et enlevé en une journée. L’auteur y digère les dernières
données neuroscientifiques, anthropologiques et sociologiques sur la question
pour nous brosser un tableau à la fois humoristique et solidement documenté de
ce qu’est l’adolescence. J’avais déjà quelques notions de tel ou tel aspect du
sujet grâce à ma lecture assidue de Cerveau
et psycho mais j’ai apprécié cette synthèse limpide qui m’a permis de mieux
comprendre les questions « d’élagage des connexions superflues entre
les neurones » par exemple. Le
passage sur les difficultés de tous les ados dans le domaine de la Théorie de l’esprit
m’a aidée à relativiser un petit peu le déficit structurel de Matthieu en la
matière. Est-il permis d’espérer que la réorganisation cérébrale de l’adolescence
l’aidera, comme les autres, à améliorer ses compétences en la matière ? Nous
verrons. En tous les cas, il paraît évident qu’en cette période charnière, le
stimuler reste très important. Natalie Levisalles présente les travaux du
neuropsychiatre américain Jay Giedd en insistant sur ce qu’il dit de l’élagage
de certaines connexions : « use it or loose it » (« tu l’utilises
ou tu le perds »). Elle écrit : « Commentaire et mise en garde
de Giedd : ce serait dommage de se tromper de choix, c’est peut-être le
moment de mettre la pédale douce sur les jeux en ligne et de s’intéresser un
peu plus à des choses qui pourraient être utiles plus tard. » Elle nuance
aussitôt en faisant allusion à d’autres chercheurs qui ne seraient pas aussi
catégoriques mais pour ma part, si j’applique ces quelques lignes à un
adolescent avec autisme, je me dis qu’il est encore plus crucial que pour un
autre de l’aider à faire le tri. Autrement dit, je pense qu’il faut l'aider encore plus qu'avant à laisser de côté les centres d'intérêts socialement peu acceptables mais qu'il ne faut
pas freiner les centres d’intérêt restreints susceptibles de lui
ouvrir une voie professionnelle (j’y reviendrai dans un prochain article) car il
est à un âge clé où les choses importantes s’enracinent pour l’avenir.
Je conclurai en conseillant à tous les « singes
néoténiques » que nous sommes la lecture de cet ouvrage, et ce qu’ils
soient parents d’adolescents autistes ou neurotypiques.