16 décembre 2009

Le témoignage de Stéfany Bonnot Briey (Asperger)




En lisant Sean Baron, Temple Grandin ou encore Donna Williams, j'avais réussi à comprendre de manière assez fine le fonctionnement d'une personne autiste.
J'ai fait un pas supplémentaire dans cette compréhension en écoutant Stéfany Bonnot Briey, une adulte atteinte du syndrome d'Asperger, dans le cadre de ma formation à Suresnes.
Cette jeune femme très intelligente analyse son propre mode de fonctionnement avec une grande lucidité et une précision remarquable. Bien que visiblement vulnérable à certains stimuli auditifs par exemple, elle est capable de s'adresser de manière posée et très claire à un auditoire.
J'ai été impressionnée par l'efficacité avec laquelle elle gère son temps, anticipant chaque matin tout ce qui arrivera et tout ce qui pourrait arriver. Elle se déplace ainsi avec un petit classeur rempli de fiches destinées à l'aider à adapter son comportement et ses réactions face à ce qu'elle nomme des "imprévus-prévus" ou, pire, des "imprévus-imprévus". Elle a imaginé un grand nombre de situations potentiellement désarçonnantes et de stratégies à mettre rapidement en place pour y faire face. Non sans humour, elle nous a d'ailleurs fait remarquer que son système lui permettait de mieux gérer certains imprévus (le retard d'un train par exemple) que la plupart des neurotypiques que nous sommes.
Après des études longues, elle a choisi de devenir AVS auprès d'enfants autistes mais elle s'est rendu compte que si elle pouvait facilement entrer en contact avec eux, elle ne pouvait pas les aider à décoder les sentiments, puisque c'était difficile pour elle-même. Elle a donc choisi, en tant que consultante, d'accompagner et de conseiller des adolescents et jeunes adultes autistes de haut niveau ou Asperger. Elle a du reste fondé une association qui s'adresse tout spécialement à eux : l'association SATEDI.
Plusieurs points de son intervention m'ont paru particulièrement édifiants par rapport à Matthieu. J'avais bien sûr remarqué depuis longtemps qu'il avait besoin d'un temps de décantation. Je n'avais en revanche pas bien saisi à quel point il était crucial de respecter son "temps de latence" (une notion également développée par Gloria Laxer) dans les moindres petites tâches du quotidien. Stefany nous a raconté que si on lui répétait dix fois de suite "mets tes chaussures" pour l'inciter à se dépêcher, elle avait l'impression que l'injonction montait puis redescendait dans sa tête comme un ascenseur, l'empêchant de se fixer sur l'idée pour agir -j'espère ne pas avoir trop mal restitué sa pensée... Cette situation précise qui lui servait d' exemple, je la vis chaque matin avec Matthieu au moment de partir à l'école. Je m'efforce à présent de ne lui dire quoi faire qu'une seule fois, sans insister et j'observe un petit progrès. D'ailleurs, quand je répète de manière trop pressante la même chose, Matthieu me fait souvent taire : "Stop, maman". "Ferme ta bouche !" "Ca suffit..." Peut-être mes paroles prennent-elles, dans ces moments-là, l'ascenseur dans sa tête ! Je vais vraiment m'astreindre à respecter ce fameux temps de latence...
Elle nous a aussi expliqué que les Asperger ne racontent pas spontanément ce qu'ils ont pu faire car ils ont du mal à concevoir que les autres ne soient pas déjà au courant. Ils croient que les autres savent ce qu'ils savent. Cette fausse impression est liée au défaut de théorie de l'esprit qui caractérise les autistes. Or, ainsi que je l'ai écrit maintes et maintes fois, je déplore justement cette incapacité qu'a Matthieu à raconter ce qu'il a fait à l'école ou ce qu'il a mangé à la cantine. Depuis que j'ai compris quelle pouvait être la cause de cette absence de récit spontané, je prends soin de chercher à savoir ce qu'a fait Matthieu en introduisant mes questions par des phrases du genre "Moi je n'étais pas là, si tu ne me le dis pas, je n'ai aucun moyen de savoir ce que tu as fait"... Je n'ai pas encore assez de recul pour évaluer l'efficacité de cette pratique mais j'ai tendance à croire qu'elle peut être fructueuse.
Stéfany nous a également raconté combien ses difficultés à comprendre le second degré ont pu la placer dans des situations inconfortables. Elle continue à apprendre à comprendre les expressions imagées et affirme que le passage par des langues étrangères l'aide beaucoup en ce sens. (NB : dans mon article précédent, je présente un outil ludique pour faire cet apprentissage, un outil que Matthieu utilise depuis plusieurs mois déjà).
Elle est revenu sur le fonctionnement de la pensée des autistes par le détail. A ce sujet, elle a pris un exemple tout à fait intéressant. Si on lui montre un ballon, elle voit d'abord sa forme ronde puis sa couleur avant d'en déduire qu'il s'agit d'un ballon et qu'on l'invite à le renvoyer ou à donner un coup de pied dedans. Ce cheminement particulier peut se faire plus ou moins rapidement. On revient là, je crois, à la question du temps de latence. Thierry pense -et je suis d'accord avec lui- que la pratique régulière de différents sports sur la Wii aide Matthieu à réduire ce temps de réaction.

Deux formateurs de l'INS HEA ont réalisé un film sur Stefany : "Le syndrome d'Asperger ? J'assume..." Ce film est passionnant. On peut le commander sur le site de l'INSHEA.