15 août 2009

Deux conversations essentielles sur l'autisme : de la normalité et de l'autisme gigogne.


Le premier août dernier, quelque part sur la route de Bergame, nous avons eu une conversation fondamentale (et bouleversante) sur l'autisme, en famille, dans la voiture.


J'ai toujours de quoi écrire à portée de main. Dès qu'Agathe et Matthieu sont retournés à leurs histoires, jeux et autres chansons, je l'ai retranscrite aussi fidèlement que possible. Je reproduis ici mes notes en italique, avec, entre crochets, mes commentaires :


MATT : - Eh ! Agathe, elle n'arrête pas de dire la boîte à autisme ! [Agathe se met de plus en plus souvent à chanter "la boîte à autisme, yé, yé,yééééé". Elle a inventé la chanson et souvent, elle la chante à très bon escient, quand Matt retombe dans un de ses comportements autistiques. En général, Matt rit quand Agathe chante cela, ce qui l'aide à surmonter les moments délicats. Mais ce jour-là, comme elle chantait sans raison, Matt était un peu agacé.]

Moi : - Elle nous a entendus en parler; c'est pour cela qu'elle répète, mais elle ne sait pas vraiment ce que c'est.

MATT à Agathe : - Agathe, tu ne sais pas ce que c'est que la boîte à autisme. Agathe, tu as autisme 2 ou tu es normale ?

Agathe : - Je suis normale ! [Là, mon coeur a fait un quadruple saut périlleux dans ma poitrine ! "Normal". Quelle horreur ! Mes enfants raisonnaient en termes de "normalité". J'avais dû me laisser aller à parler comme cela devant eux. Ils ne l'avaient pas inventé... J'ai commencé à culpabiliser et à me demander comment j'allais rattraper le coup, ce que j'ai tenté de faire quelques minutes plus tard. ]

MATT : - Je ne voudrais pas avoir l'autisme 3.

Thierry : -Non ! Tu nous écoute bien et ça ira !

Moi : - On verra un nouveau docteur en août qui nous aidera. [Il s'agit d'une pédopsychiatre d'obédience comportementaliste que nous verrons mercredi. J'écrirai sans doute un message à ce sujet.]

MATT : - Je ne suis pas normal ?

Moi : - Excuse-moi, Matt. L'autre jour, on a dit à Agathe qu'elle n'était pas autiste, qu'elle était normale. On a mal dit. Nous sommes tous normaux. Tu as deux bras, deux jambes, 1 nez, deux yeux...comme tout le monde. Tu es normal. Tu as juste en plus la maladie "autisme". Regarde, tu sais que moi j'ai la maladie "épilepsie" et pourtant je suis normale.

[Avec le recul, je trouve qu'il y aurait beaucoup à redire sur mon petit discours de replâtrage, mais sur le coup, c'est tout ce que j'ai trouvé... Dur, dur d'être parent. ]

MATT : - Maman, si on faisait la boîte à épilepsie ? C'est comment ?

Moi :- Je ne supporte pas les lumières qui clignotent, si je suis fatiguée, j'ai des secousses (je mime), etc... Mais j'ai de la chance, je peux être soignée avec des médicaments. Tu sais, ceux que je prends le matin et le soir. L'autisme ne se soigne pas avec des médicaments.

MATT : - Je dois bien souffler. (il expire tranquillement)[Je ne sais pas où il a pêché cela... Peut-être dans nos petites séances de yoga...Il travaille peut-être sur le souffle avec sa psychomotricienne...]

Thierry : - Oui, et tu dois aller parler avec les docteurs et écouter papa et maman.

Moi : - Tu es courageux, épatant. Il faut beaucoup de courage pour combattre l'autisme. Ta maladie devient de plus en plus petite.

Matthieu sourit. Il a l'air heureux. Il résume notre conversation ainsi :

" Moi, j'ai autisme; toi, maman, tu as épilepsie. Agathe et papa rien mais on est tous normaux."

Il reprend :

- L'autisme, ce n'est pas avoir mal au ventre, ni au bras...

Thierry : - C'est dans le cerveau.

Cette réponse satisfait Matthieu. La conversation est close.


C'était dur. j'avais les larmes aux yeux ! Avoir une telle conversation avec un enfant si jeune ! Si nous n'avions pas stimulé Matt comme nous l'avons fait quand il était tout petit, nous n'aurions jamais pu créer les conditions propices à un tel échange. Maintenant, plus que jamais, Matthieu a toutes les cartes en mains pour progresser. Je ne sais plus où, j'ai récemment lu que certains avaient longtemps cru que les autistes n'avaient conscience de rien. Il me semble que c'est faux ! Le meilleur exemple en est le témoignage de "l'enfant hérisson" (pourtant beaucoup plus lourdement atteinte que ne l'est Matthieu) sur lequel j'ai déjà écrit un article.


A la fin de notre conversation, j'ai dit à Matthieu que sa maladie devenait de plus en plus petite. J'ai alors repensé à une conversation que j'avais eu avec une collègue, Patricia, en juin dernier. Comme je lui expliquais les vertus de la boîte à autisme 2 , elle m'a demandé si Matthieu ne risquait pas de croire que sa maladie empirait du fait de la croissance des chiffres (2 est plus grand que 1; est-ce à dire que l'autisme 2 est plus grave que l'autisme 1 ?). Je n'avais jamais envisagé les choses sous cet angle. Il ne me semblait pas que Matthieu voyait les choses ainsi... mais la remarque de Patricia me paraissait fondée. Elle a poursuivi en me suggérant de présenter la maladie sous forme d'ensembles (l'immense cercle de l'autisme 1 contient un cercle plus petit, l'autisme 2, qui contient peut-être un cercle plus petit encore).
J'ai immédiatement pensé aux oeufs gigognes de Matthieu. Nous les avions achetés aux puces, il y a quelques années. L'orthophoniste avait manipulé ce type d'oeufs dès ses premières séances avec Matt, afin de lui faire comprendre que "caché" ne signifiait pas "disparu" ( il s'agissait aussi, me semble-t-il, de faire passer Matt par le fameux "coucou me revoilà" qui aurait dû être inné quand il était bébé, ce qui n'avait jamais été le cas). Les oeufs allaient reprendre du service !


Le 10 août dernier, alors que Matt venait de lire une histoire et que je venais de lui dire ses "petits mots doux" du soir, il m'a semblé que le moment été venu de mettre en place le plan de Patricia.

J'ai expliqué à Matthieu que l'oeuf bleu, c'était l'autisme 1. Dedans, il y avait un oeuf jaune, plus petit, qui représentait l'autisme 2 (concernant l'acquisition par Matt de la capacité à comparer et à utiliser des images, cf. mon témoignage). A l'intérieur, il y avait un oeuf vert, qui était peut-être l'autisme 3. On ne savait pas si l'autisme 3 existait vraiment mais s'il existait, il devait être riquiqui, comme l'oeuf.
J'avais oublié l'énorme oeuf rouge, le plus gros de la série. Matthieu, qui sautillait de joie à mon récit, m'a dit : "Le gros oeuf, c'est la maladie d'Elsa. Elle est pire que la mienne." (J'avais expliqué comme je le pouvais à Matt qu'Elsa avait quitté sa classe pour l'IME car son polyhandicap était plus difficile à guérir que l'autisme). Matthieu avait compris le principe de l'histoire.
Quand son papa est venu lui faire son bisou du soir, Matt lui a raconté l'histoire. Il l'a enrichie d'exemples concrets pris dans les manifestations de la maladie les plus faciles à comprendre pour lui (ex : autisme 1 : passer son temps à faire des puzzles, ne pas parler...; autisme 2 : faire des chougnes, avoir peur de la gastro...). Une nouvelle fois, j'aurais pu pleurer tant j'étais émue.
Avant d'éteindre sa lumière, Matt m'a dit "Maman, elle était drôlement bien cette histoire d'autisme !"

Merci beaucoup Patricia. Je ne sais pas si j'ai fait comme il le fallait mais Matt a l'air satisfait. Il nous raconte régulièrement l'histoire. J'ai filmé Matt à plusieurs reprises. On peut voir le résultat ci-dessous. Dans ce petit film, il est rôdé et s'exprime plutôt mieux que dans ses précédentes tentatives même si l'on entend que ses phrases sont un peu laborieuses (ce qui est toujours le cas, sauf quand il lit). La narration orale est toujours difficile pour lui, que ce soit celle d'une histoire et, plus encore, celle de son vécu.
Au total, j'ai livré ici notre expérience, telle quelle. Il y a sans doute dans tout cela beaucoup de maladresses. J'espère que nous avons fait au mieux. Je tiens beaucoup à ce que Matthieu comprenne qu'il existe peut-être un oeuf vert car je pense qu'il est impossible de guérir complètement de l'autisme. Un jour viendra où il faudra lui expliquer des difficultés beaucoup plus subtiles (la difficulté à enchaîner les actions par exemple). Nous devons absolument nous laisser un espace pour ces futures mises aux points qui s'inscriront sans doute dans le contexte de l'école.
Je ne sais pas si c'est transposable pour d'autres enfants... En tous les cas, le moment d'expliquer à fond à son enfant les enjeux de sa maladie est émotionnellement difficile mais je crois qu'on peut s'estimer heureux quand ses progrès nous permettent de pouvoir le faire.


Si j'ai pu passer autant de temps sur ce message, c'est que j'ai un mari formidable, qui joue avec sa petite fille tout en faisant de la confiture de mûres, et un grand Matthieu qui joue chez son copain Nicolas. Un rêve ! Ce camarde de Matthieu vient de plus en plus régulièrement à la maison pour jouer ou pour l'emmener chez lui. J'ai parlé à ses parents samedi dernier de la maladie de Matt. Ils ont été très compréhensifs. J'espère que tout se passe bien.
Seule ombre au tableau : Nicolas vient chercher Matt en vélo et Matt n'arrive toujours pas à en faire... Mais bon ! N'exagérons pas ! C'est déjà beaucoup, beaucoup (x l'infini comme dirait Matthieu) plus que ce que l'on pouvait rêver il y a trois ans.