11 juin 2012

Matthieu, Toto, Adèle et la Théorie de l'Esprit

Le concept de "Théorie de l'Esprit" (la capacité à comprendre nos propres pensées, à interpréter celles des autres, à anticiper leurs réactions et détecter leurs intentions) est maintenant bien connu des personnes qui s'intéressent à l'autisme. Grâce aux travaux de Baron-Cohen, on sait que cette capacité est déficitaire chez les personnes avec autisme, ce qui les met en grande difficulté socialement (leur incapacité à tromper ou à comprendre la tromperie, par exemple, est à mettre en relation avec leur défaut de théorie de l'esprit). Tout cela est rappelé de manière très claire dans Apprendre aux enfants autistes à comprendre la pensée des autres, de Patricia Howlin, Simon Baron-Cohen et Julie Hadwin, paru chez De Boeck en 2010 pour la traduction en Français. Les auteurs y reprennent la fameuse expérience  de "Sally et Anne" qui illustre bien à quel point une personne avec autisme est en difficulté dès lors qu'il s'agit de repérer et comprendre une fausse croyance, alors qu'un enfant neurotypique de 4 ans y parvient. Notons que dans cet ouvrage, les auteurs remplacent l'expression "théorie de l'esprit" par "lecture de l'esprit".



Bien que Matthieu ait un relativement haut niveau de fonctionnement et bien qu'il nous épate jour après jour par ses progrès, il est clairement déficitaire en ce qui concerne la "lecture de l'esprit".
J'en ai eu deux exemples récents aux travers de ses lectures.
Matthieu adore les albums de la collection "Les blagues de Toto" de Thierry Coppé. Mais il ne comprend pas pourquoi les personnages ont toujours l'air consterné en entendant les réflexions de Toto. Et pour cause: à bien des égards, il voit les choses sous le même angle que Toto.
La blague "Il faut battre le frère" dans L'élève dépasse le mètre est particulièrement édifiante à cet égard. Toto s'énerve et traite l'un de ses camarades de menteur car il lui a dit qu'il avait un seul frère. Or la soeur du garçon lui a dit avoir deux frères, ce qui est logique et tout à fait exact de son point de vue à elle. Mais Toto est incapable de se décentrer et de changer de point de vue d'où son incompréhension et son sentiment d'avoir été floué par un menteur. Matthieu ne comprend absolument pas ce gag. Pour lui, le désarroi de Toto est légitime et il est très difficile de lui expliquer le changement de perspective qui s'opère dans la blague.




















Un autre exemple. Matthieu et Agathe ont une belle petite collection des "Drôles de petites bêtes" d'Antoon Krings (Gallimard Jeunesse).  Adèle la sauterelle, dans l'opus qui lui est consacré, est particulièrement étourdie. Elle échange deux lettres, si bien qu'il devient difficile de suivre qui parmi les personnages de l'histoire reçoit quoi à la place de qui et qui est au courant de quoi. Alors que je questionnais les enfants sur ce dernier point, Agathe a donné la bonne réponse sans la moindre hésitation tandis que Matthieu tombait dans le piège que je lui tendais : il a répondu ce qu'il savait lui et non ce que savaient les personnages. L'illustration parfaite de Sally et Anne.
Bref, il y a un gros travail à faire avec lui sur ces questions de changement de point de vue. Je m'y attellerai cet été.


Encore un mot, pour finir, sur Apprendre aux enfants autistes à comprendre la pensée des autres. Cet ouvrage est un guide pratique très concret, abondamment illustré, destiné -en 5 niveaux à chaque fois- à faire travailler à des enfants avec autisme la compréhension des émotions, celle de "l'état informationnel" et le jeu de faire semblant. Matthieu est déjà bien au-delà du cinquième niveau concernant le faire semblant mais le guide pourrait m'être précieux pour tout ce qui a trait à la compréhension des fausses croyances.