21 novembre 2010

Des listes jubilatoires mais parfois envahissantes...







Depuis quelques mois, c'est une évidence : ce qui plaît par dessus tout à Matthieu, c'est établir des listes. Son "espace dessin" ne sert plus qu'à cela. Il en produit au moins deux par jour. Ces listes lui procurent un réel plaisir. Quand son visage s'illumine et qu'il nous laisse en plan pour courir au bureau, c'est sûr, c'est qu'il va dresser une liste. Nous sommes capables de les prévoir en fonction de la conversation que nous avons, de ce qu'il a vu dans un dessin animé ou de ses préoccupations de jour. Parfois -quand nous sommes fatigués surtout-, nous sommes consternés, désemparés et un peu découragés face à ce mode de pensée si typiquement autistique et si étrange. Mais le plus souvent, nous essayons de relativiser : après tout, il ne fait de mal à personne et partage ses listes avec enthousiasme avec nous. Elles ne sont pas un outil d'enfermement qui pourrait devenir "associal" (enfin nous l'espérons).

Il y a des listes pour tout : la comptabilité des points au golf, ses héros préférés, les différents niveaux du cours de danse (classement par couleurs de tutus), les différentes profondeurs de la piscine...

Les listes qui lui plaisent le plus concernent l'étalonnage du temps (y compris les âges dont je reparlerai), les poids et les distances. Dimanche dernier, par exemple, alors que nous avions invité quelques amis, Matthieu s'est montré très impatient de les voir arriver. Toute la matinée durant, nous l'avons entendu égréner : "ils arrivent dans 84 minutes...dans 72 minutes...dans 65 minutes..."
Il nous demande sans cesse : "Dans combien de minutes...?" D'après ce que je viens de lire chez Mottron (cf. article antérieur), ce genre d'interrogation sur le temps ne disparaît pas à l'âge adulte chez les autistes de haut niveau malgré tous les progrès qu'ils peuvent faire.

De même, Matthieu dessine et classe les poids de sa balance de Roberval et veut connaître la taille de tous les membres de son entourage.


Comme toujours, nous essayons de déterminer si nous pouvons déceler dans cette manie des "pics d'habileté" (Mottron) ou des "points de force" (comme diraient les responsables du fameux GRF dyslexie auquel j'appartiens et qui fonctionne enfin depuis vendredi). C'est sûr, Matthieu est incollable quand il s'agit de faire des conversions à l'école. Quand il fait spontanément des listes en allemand, cela ne peut que lui être profitable en classe. Quand il peine à comprendre quelque chose, je fais moi aussi des listes (elles s'apparentent d'ailleurs aux fameux "règlements" qui ont tant aidé Matthieu à progresser). Par exemple la liste des allumettes de la petite marchande pour l'aider à comprendre le conte (Matthieu sautait comme un cabri -signe d'une joie intense- quand je l'ai dressée).


Pour le reste, nous sublimons (chaque fois que possible!) cette manie. Ainsi, sa liste la plus détaillée des heures/minutes/secondes a été intégrée à un grand bricolage qu'Agathe et moi venions de terminer. Ce jour-là, Matthieu n'avait pas voulu bricolé et pour le coup, ses listes le plaçaient en retrait par rapport à nous. Agathe et moi avions fixé une pendule bon marché, récupérée et arrangée par nos soins, sur un vieux et immense tableau en bois chiné aux puces. Le tout s'était transformé en une pendule/pêle-mêle. Comme une pendule marque l'heure, la liste de Matthieu y a trouvé tout naturellement sa place.


Ce matin, face à un énième étalonnage du temps par Matthieu, Thierry et moi nous sommes pris à rêver : peut-être pourrait-il un jour mettre son goût des mesures à profit pour être géomètre, par exemple... Mais je crois qu'il faut rester raissonnable. Les perspectives d'orientation des autistes sont bien mal définies et réfléchies dans notre système scolaire. Je commence à travailler avec un collègue CPE très motivé à l'éventuelle création d'un GRF (Groupe recherche formation) sur l'autisme qui prendrait en compte cette réflexion sur une orientation reposant sur les pics d'habileté des autistes. J'espère que ce projet aboutira.