Il y a un peu moins de trois semaines, on m'a demandé si Matthieu n'était pas trop fatigué. J'avais alors répondu avec soulagement qu'il tenait remarquablement bien le coup malgré la fin d'année scolaire. J'aurais mieux fait de me taire... Le lendemain, son état a commencé à rapidement se dégrader. Les innocents petits jeux entre copains vus et revus dans la cour de récréation (faire des "prouts" en mettant ses mains sous ses aisselles, "faire bisouter" ses mains...) se sont transformés en stéréotypies difficiles à juguler. Matthieu s'est de plus en plus retranché, les yeux vides, la mâchoire inférieure en avant (une nouveauté fort peu esthétique). Il s'est remis à sauter et à bouger de manière de plus en plus dégingandée. Nous avons dû cacher le mode d'emploi de son jeu de Mario pour l'empêcher de passer des heures à le lire et à l'apprendre par coeur au moindre renvoi de page près.
Il s'est mis à répéter en boucle, d'une voix monocorde que nous pensions ne plus jamais entendre, des litanies de titres de contes étudiés à l'école ou découverts au CATTP. Et surtout, il a recommencé à pleurer pour un oui ou pour un non, répétant des dizaines de fois "c'est pas grave de se tromper, dis, c'est pas grave..." Alors que Thierry et moi sommes nous-mêmes bien fatigués, il a fallu reprendre le collier : jouer encore et encore, dessiner et lister minutieusement les étapes de la journée, préserver Agathe qui perçoit avec beaucoup de clairvoyance que son frère va moins bien. C'est dur.
J'ai l'impression que, comme moi, Matthieu est très sensible aux changements de pression atmosphérique. Le temps orageux actuel, la fatigue accumulée d'une année scolaire, la perception très fine de ma fatigue à moi : tout concourt à rendre Matthieu bien vulnérable en ce moment.
Mais cela ne va pas durer. Nous ne devons pas nous décourager même si, dans ces moments-là, l'avenir nous fait peur. Nous avons vu la pédopsychiatre qui nous a fait un petit discours sur le découragement. Elle fait son métier. Mais je crois que seuls les autres parents d'enfants handicapés peuvent comprendre l'angoisse immense qui est la nôtre quand, malgré tout le chemin parcouru, on a le sentiment de ne plus rien contrôler. La frontière entre les progrès et la régression est si ténue... Que se passera-t-il dans dix ans, dans quinze ans, vingt ans et plus, si, dans les moments de fatigue, Matthieu ne peut compter sur personne qui sache comment le remettre sur les rails ?
Mais bon... Ces pensées peu réjouissantes, nous sommes heureusement capables de les écarter assez rapidement. Il le faut bien...
J'ai emmené Matthieu chez l'ostéopathe hier. La séance semble lui avoir fait du bien.
Tout va s'arranger de nouveau et il va encore progresser, j'en suis sûre. Thierry aménage le jardin pour accueillir une grande piscine en bois. Ce matin, pendant que j'interrogeais des lycéens contraints de passer les épreuves de rattrapage du BAC, il a encore emmené les enfants à la piscine. C'est vraiment un papa formidable. Depuis quelques jours, nous constatons de nouveau que Matthieu est très bien dans l'eau. En période de régression, il y redevient quasi normal.
Les bonnes vieilles recettes décrites dans mon livre sont donc encore valables en période difficile. Tant mieux !