8 juillet 2010

Le bilan de l'année scolaire de Matthieu




L'année scolaire de Matthieu vient de s'achever et il est l'heure des bilans.

Matthieu a réussi à "avaler" -et surtout à "digérer"!- l'immense programme de la classe de CE1. Sa grille de compétences révèle principalement des éléments acquis (A). Seuls bémols : la géométrie (B) et l'écriture d'un conte (C voire D). Ce dernier point est symptomatique des enfants avec autisme : Matthieu peine à créer, à inventer une histoire à partir d'autre chose que l'un ou l'autre de ses centres d'intérêts. C'était une difficulté prévisible. Ici, il s'agissait d'"écrire un conte collectif". Le caractère collectif de ce travail, passant par une mise en commun d'idées à l'oral n'a sans doute pas arrangé les choses.
Peut-être faudrait-il permettre à Matthieu, dans un premier temps, de réaliser des travaux de rédaction à partir de sujets qui le passionnent afin que ce contexte connu et apprécié serve de tremplin à son imagination. C'est ce qu'il fait à la maison quand il invente des histoires de golf ou de Monsieur/Madame, par exemple. Je ne sais pas si je peux suggérer une telle adaptation aux enseignants de Matthieu. En tant que toute nouvelle enseignante spécialisée, il me semble que c'est ce que je conseillerais pour un autre enfant. En tant que parent, je répugne à m'immiscer dans la pédagogie des institutrices de mon fils et je mets un point d'honneur à ne pas me montrer trop envahissante.

En ce qui concerne l'autonomie, j'ai fait le point avec l'AVS de Matthieu. Myriam l'a épaulé avec efficacité cette année en lui permettant de mettre en oeuvre les consignes données en classe. Elle a très bien senti comment l'aider à comprendre en usant, au besoin, d'outils ludiques comparables à ceux mobilisés à la maison. J'ai par exemple été épatée par l'habileté avec laquelle Matthieu développe des calculs complexes. Il est arrivé un soir avec un exercice du type :
345 x 4 à résoudre en factorisant !!! Sous nos yeux ébahis, Matthieu a développé à une vitesse ahurissante (300 x 4) + (40 x 4) + (5 x 4), en "faisant tomber les zéros", avec un petit rire amusé, à chaque nouvelle multiplication en ligne. C'était Myriam qui avait introduit ce petit truc rigolo des "zéros qui tombent". Bref, du "sur mesure" ludique pour Matthieu. J'en profite ici pour remercier Myriam de tout coeur. La MDPH a renouvelé le droit de Matthieu à bénéficier d'une AVS à raison de 12 heures par semaine l'an prochain. Nous souhaitons que Myriam puisse de nouveau être cette AVS. J'espère que cette idée saugrenue, selon laquelle il serait bon de changer d'AVS chaque année pour éviter tout attachement fusionnel réciproque, ne prévaudra pas dans le cas de Matthieu. Je viens d'écrire un courrier au rectorat en ce sens.

Matthieu ira donc en CE2 à la rentrée. Il restera dans la même classe (un CE1-CE2), avec la même maîtresse que cette année, mais côté CE2. Parmi les 5 élèves de sa classe initiale qui seront avec lui (les autres intègreront le CE2-CM1), il y a deux de ses meilleurs copains (Nicolas et Arno, lequel est l'un des meilleurs élèves de la classe) et deux filles (Lauryne et Claire) qui aiment le tutorer quand c'est possible. Bref, avec cet environnement, la rentrée s'annonce bien.

Il est un point fondamental, toutefois, sur lequel Matthieu n'a pas progressé : le rangement de son matériel (livres, cahiers, crayons) à l'issue d'une activité ou la sortie de ses affaires au moment où il arrive en classe et au moment des changements d'activités. Je vais construire avec lui des fiches décomposant ces actions cet été (nous les plastifierons). J'insisterai à la rentrée pour que la maîtresse les fixe sur son pupitre, afin que, AVS ou pas, il intègre une bonne fois pour toute ces gestes fondamentaux du quotidien. Il faudra aussi que nous soyons plus exigeants envers Matt concernant le rangement de ses affaires à la maison, durant les vacances.

Je joins ci-dessous les fiches que j'ai confectionnées pour les maîtresses et l'AVS de Matthieu en septembre dernier. Il ne me semble pas les avoir déjà reproduites sur mon blog.




Sur les photographies qui introduisent ce long message, on peut voir l'un des pots à crayons fabriqués par Matthieu à chacune de ses deux maîtresses (il leur a aussi fait des bracelets).

Fiche n°1 :
Ce qu’il faut savoir sur Matthieu…


- Malgré sa maladie, Matthieu ne souffre pas d’un retard mental. Il a appris à lire seul, avant même d’entrer au CP, par exemple. Il n’est pas surdoué, comme on l’entend parfois dire de certains autistes, mais il a des capacités intellectuelles qui doivent lui permettre de suivre une scolarité ordinaire,

Il ne faut donc pas faire les exercices à sa place. Il peut et doit être à égalité avec les autres élèves sur ce plan.

- Matthieu est hypersensible et sujet à beaucoup d’angoisses. Il souffre d’angoisses de morcellement (peur de mourir s’il perd une dent ; peur de se désintégrer s’il se cogne le doigt, peur de se liquéfier s’il a une gastro…). Il est terrorisé à l’idée d’échouer, d’être le dernier…Il supporte très mal la frustration de l’erreur ou de l’échec.

Il faut donc sans cesse le rassurer. Il faut l’aider à relativiser ses peurs et ses échecs en les dédramatisant, sans s’en moquer et sans chercher à éviter systématiquement (même si c’est parfois nécessaire) les sujets susceptibles de le heurter. Il ne faut pas lui mettre des A s’il mérite des B pour lui faire plaisir et éviter ses larmes, mais il faut beaucoup parler avec lui pour lui expliquer les causes de ses erreurs et les possibilités de progrès.

- Matthieu exprime très peu ce qu’il ressent (ses émotions) avec des mots.

Sans le harceler, il faut donc l’inviter à expliquer pourquoi il réagit ainsi à telle ou telle situation. Il faut l’amener à extérioriser ses sentiments pour l’aider à dépasser ses peurs et ses frustrations.


- Pour Matthieu, rien –ou presque- n’est inné. Il a dû apprendre à décoder les sentiments, par exemple. Il y a encore quelques mois, quelque chose d’aussi bête que ramasser un stylo qui tombe ne lui venait pas à l’idée. Il commence seulement à avoir un peu d’esprit d’initiative. Il a des difficultés à anticiper les actions –les siennes et celles des autres…

Il faut donc être patient avec lui, ne pas s’imaginer qu’il fait preuve de mauvaise volonté ; il faut toujours garder à l’esprit que rien, même la parole, n’est facile pour lui.

- Matthieu est très introverti et subit passivement les agressions ou les pressions d’autrui.

Il faut donc lui apprendre à résister, à dire non, à se défendre, notamment dans la cour de récréation.

- Matthieu a du mal à aller vers les autres. Mais attention, ce sont ses problèmes structurels de communication qui l’inhibent et non une attitude délibérée de refus (il a d’ailleurs de très bons copains dans sa classe).

Il faut l’aider à se faire de nouveaux copains et à gérer de nouvelles amitiés.


- Matthieu est très conscient de sa maladie. Il en connaît les caractéristiques et s’efforce de combattre ses traits autistiques avec beaucoup de courage et de ténacité.

On peut donc –et on doit donc- toujours lui dire les choses telles qu’elles sont. Il faut lui dire la vérité sur ce qui se passe autour de lui ou à propos de lui.

- Matthieu est trop sensible à certains stimuli sensoriels (auditifs en particulier).
Cela va beaucoup mieux mais les sons graves et les micros lui font mal aux oreilles.

- Matthieu éprouve des difficultés à fixer longtemps son attention en classe mais il n’est pas hyperactif et c’est souvent la fatigue qui le fait décrocher.

Il faut donc l’aider à rester en éveil, attentif, tout en le laissant parfois se « ressourcer » durant 5 ou 10 minutes. C’est un équilibre très dur à trouver ! Il nous a fallu des mois pour le faire à la maison.


A noter : - quand Matthieu est fatigué, les traits autistiques sont plus marqués.
- Matthieu est très doux et pour arriver à lui, il faut user de beaucoup de douceur.

Fiche n°2 :

Quelques principes utiles à mettre en œuvre en classe
pour aider Matthieu.

1°) Décomposer les tâches et vérifier que Matthieu accomplit bien toutes les étapes d’une activité.
Constat : Matthieu a tendance à s’arrêter entre les tâches au lieu de les enchaîner.
Ce que l’on fait à la maison : nous avons élaboré des fiches décomposant les actions du quotidien. Petit à petit, en suivant jour après jour ses petites fiches, Matthieu est parvenu à intégrer l’enchaînement des actions et à agir en complète autonomie. [cf. « règlement de la douche »]. Ces fiches peuvent concerner des tâches très fines. Nous avons imaginé ces fiches au printemps et il a tellement progressé qu’il n’en a plus besoin.
Ce que peut faire l’AVS (ou la maîtresse) : identifier les enchaînements difficiles (ex : sortir toutes ses affaires de son sac sans s’arrêter entre la trousse et le cahier, entre le cahier et les feutres, etc …) et décortiquer les tâches avec Matthieu.
Veiller à ce qu’il enchaîne tout et si ce n’est pas le cas, lui servir d’aiguillon (« et après ? Que dois-tu faire ? » ; « Tu as fait la deuxième étape, est-ce que tu as fini ? »). Ne surtout pas accomplir la tâche à sa place.
Eventuellement pour les jours où l’AVS ne sera pas là : élaborer quelques fiches « pense-bête » pour l’aider à enchaîner les actions seul (sur le modèle des fiches réalisées à la maison).

Matthieu est aussi capable qu’un autre élève de comprendre un énoncé, mais il faut s’assurer qu’une fois que la maîtresse a donné ses consignes par écrit ou par oral à la classe, il se met bien en route et ne s’arrête pas au bout d’une question ou d’un exercice.

Important :
- quand on élabore des fiches pour guider Matthieu, il faut numéroter les tâches décomposées. Matthieu adore les chiffres et si tout est bien structuré par des numéros, il est rassuré. Il a aussi conscience d’avancer, de progresser dans sa tâche.
- si c’est possible, il faut associer Matthieu à l’élaboration des fiches (c’est lui qui a construit la fiche sur la douche).


2°) Formuler les injonctions en termes de règles (« la règle, c’est… ») ou en termes d’autorisation (« tu as le droit de ») plutôt que par des ordres trop secs.
Constat : Matthieu est extrêmement (trop même !!!) respectueux des règles : il est très obéissant. Il a tendance à établir lui-même des règles avec une certaine rigidité, caractéristique des autistes. Il a par exemple dit à sa sœur récemment : « Quand on est mort, on est couché, c’est la règle ! ».
S’il a le sentiment d’avoir enfreint une règle (même si ce n’est pas vrai et qu’il a agi comme il le fallait, même si ce n’est pas grave, même si personne ne le gronde…), il a tendance à se mettre dans tous ses états (il pleure fort et longtemps…). L’idée d’avoir fait quelque chose d’interdit le rend malade.
Il a tellement tendance à culpabiliser et à se faire à lui-même des reproches qu’il ne sert à rien de le gronder. Il faut l’approcher avec beaucoup de douceur (cette attitude douce ne risque pas de mettre en péril notre autorité).
Ce que l’on fait à la maison :
- évidemment, on le rassure et on dédramatise. On lui rappelle que l’on sait qu’il est très obéissant.
- on se sert de son amour des règles pour lui faire faire des choses qui ne relèvent pas d’un règlement.
- on l’invite en douceur à agir par des phrases du genre « tu as le droit de ». Par exemple, en juin dernier encore, on lui disait « tu as le droit d’aller faire pipi » pour qu’il pense à aller aux toilettes. Si l’on formulait les choses ainsi : « va faire pipi ! », il pleurait car l’impératif résonnait en lui comme une agression et comme le pointage d’une infraction à la règle.

Ce que peut faire l’AVS ou la maîtresse : la même chose.
Ex : au lieu de dire d’un ton sec : « écoute la maîtresse ! », préférer : « Tu as le droit d’écouter la maîtresse. » ou « la règle, c’est qu’il faut écouter la maîtresse. Tu ne l’as pas fait cette fois-ci, ce n’est pas grave, je sais que tu sais que c’est la règle et que tu le feras à l’avenir»
NB : Matthieu tolère beaucoup mieux l’impératif depuis quelques semaines. Après quelques tests positifs (bonne tolérance à des phrases du style « arrête de bavarder !»), on pourra peut-être se passer des « tu as le droit de ».

Important : Matthieu ne doit pas avoir de traitement de faveur. S’il fait une entorse grave au règlement de la classe ou aux règles de vie en société, il faut qu’il reçoive la sanction prévue (il faut la lui expliquer). Il pleurera sans doute plus qu’un autre et pour le consoler, il faudra bien lui dire que ce n’est pour cela qu’il est méchant, que l’on sait bien qu’il est gentil et que l’on continue à l’aimer beaucoup.

Il ne faut pas hésiter à s’appuyer sur les traits pathologiques du comportement de Matthieu pour l’amener à les sublimer en quelque chose qui l’aidera à progresser et à s’intégrer.

3°) Lui laisser un temps d’observation.

Constat : Matthieu arrive mieux à réaliser une tâche (surtout sur le plan corporel) s’il peut observer plusieurs fois quelqu’un faire l’action. Ex : Matthieu a fait de l’élastique sur un trampoline cet été. Il était très maladroit jusqu’à ce qu’il ait longuement observé une fillette plus âgée et plus dégourdie. [NB : il a fallu, comme toujours, le rassurer car il se rendait compte qu’elle était plus efficace que lui (« c’est vrai que la petite fille y arrive mieux que toi mais elle doit avoir dix ans et elle s’est sans doute beaucoup plus entraînée que toi… »)].
Ce que peut faire la maîtresse : lors de l’apprentissage d’un nouvel exercice moteur, en sport par exemple, le faire passer parmi les derniers pour qu’il ait le temps d’observer ses camardes. C’est d’autant plus vrai s’il y a des enchaînements à réaliser (gymnastique).


4°) Lui laisser un temps de décantation.

Constat : depuis qu’il parle (Matthieu a commencé à communiquer en parlant vers 4 ans), nous avons constaté que quand quelque chose était difficile pour lui (sur le plan moteur, sur celui des apprentissages et parfois sur le plan émotionnel), il faut en parler calmement avec lui sans trop insister et attendre le lendemain. En général cela va beaucoup mieux après une bonne nuit et c’est Matthieu qui revient spontanément sur la pierre d’achoppement de la veille.
Ce que peut faire la maîtresse ou l’AVS : accepter que Matthieu ne réponde pas immédiatement à une sollicitation (quitte à l’inscrire dans le cahier de liaison pour que son papa et moi essayions de tâter le terrain le soir, à la maison). Même quand il ne dit rien, il entend. Il a souvent besoin d’un peu plus de temps que les autres pour digérer les informations.

5°) S’appuyer sur ses centres d’intérêt

Constat : comme beaucoup d’enfants autistes, Matthieu a longtemps eu tendance à « surinvestir » les choses qui l’intéressaient, et ce jusqu’à l’obsession (ex : les couleurs, les insectes, les planètes, les chiffres, les lettres…). Aujourd’hui, il n’a plus d’obsessions aussi poussées et envahissantes, mais il y a quelques sujets qui le passionnent et sur lesquels il faut s’appuyer (il ne faut pas les refouler !) pour le faire avancer.
Ce qui le passionne en ce moment : les livres de la collection « Monsieur-Madame », les livres de la collection « les drôles de petites bêtes » et le mini-golf.
Ce que l’on fait à la maison : Matthieu adore jouer au Yatzé ce qui l’oblige à effectuer des calculs. A la fin d’une partie, il veut toujours savoir combien de points séparent le gagnant du perdant. Nous posons alors les soustractions devant lui et nous le sollicitons par des phrases du style : « J’ai 3 « Monsieur », il m’en manque combien pour en avoir 11 ? ».
Ce que peut faire l’AVS : utiliser l’un de ses centres d’intérêt pour attirer son attention quand elle se relâche et pour servir d’exemple quand il semble avoir du mal avec une co nsigne.

6°) Lui présenter les choses de manière ludique

Pour amener Matthieu à communiquer, nous avons passé des centaines d’heures à jouer avec lui. Encore aujourd’hui, nous jouons beaucoup. En lui présentant les choses comme un jeu, on attire son attention et on le maintient mieux en éveil.
Exemple : l’an dernier, son prof de violon avait baptisé les cordes « barbanotes » (barbami, barbaré…) et il lui faisait passer toutes les consignes un peu arides à la sauce « barbapapa ». Cela fonctionnait très bien.

7°) Lui parler de manière expressive, enjouée, à la limite de la théâtralité.

Bon à savoir : - Matthieu adore dessiner. Le dessin est, je crois, son mode d’expression spontané favori. Quand il est fatigué, cela lui fait du bien de dessiner.
- chanter les consignes à Matthieu est très efficace mais je vois mal comment adapter une telle pratique en classe…