J' y ai fait allusion dans deux de mes messages déjà, le nouveau livre de Daniel Tammet (Embrasser le ciel immense. Le cerveau des génies, Les Arènes, 2009) est formidable.
Quand j'ai su que Matthieu était autiste, ma priorité a bien sûr été de trouver comment le stimuler. Puis est venu le temps où j'ai eu besoin de comprendre exactement, scientifiquement, ce qu'est l'autisme. Je me suis lancée dans des lectures compliquées sur le cerveau (ex : L'erreur de Descartes, les Neurones miroirs chez Odile Jacob...). Je ne manque pas un numéro de Cerveau et psycho... Mais c'est dans ce nouveau livre de Daniel Tammet que j'accède aux démonstrations et aux études de cas les plus claires et les plus compréhensibles.
Cet ouvrage attire scientifiquement mon attention sur quantité de petites choses que j'avais remarquées en observant Matthieu (ou à mon sujet relativement à l'épilepsie). Cela m'aide à comprendre (autrement qu'intuitivement) beaucoup de choses.
Le chapitre sur la créativité, en particulier, m'a pas mal fait réfléchir. Il y est question de "la tempête intérieure" (page 188) qui agite parfois les epileptiques, les poussant à une créativité inédite. Pour avoir personnellement vécu ce genre d'expérience où l'on est comme possédé par une inspiration qui vous tombe dessus sans prévenir, j'ai pu apprécier la justesse de ce développement.
Un peu plus loin, Daniel Tammet aborde la question de la "créativité autiste"qui, pour lui, existe bel et bien, ce dont je suis persuadée. Il écrit notamment : "Quand ils peuvent s'exprimer à travers une passion qui stimule leur imagination, les individus autistes de haut niveau font preuve d'une créativité considérable". (page 200)
On retombe toujours sur la même idée : il ne faut pas contrarier ce que Temple Grandin appelle les fixations, il faut s'appuyer sur elles. Bref, il faut les sublimer. Thierry et moi avons déjà appliqué ce principe à beaucoup de menus évènements de notre quotidien, dans la stimulation de Matthieu. Maintenant, à l'heure où je m'inquiète tant des difficultés que rencontre Matt à raconter une histoire, je médite une fois de plus ce principe. Quand il couvre des pages et des pages de chiffres ou qu'il fait des listes de mots, il faut trouver le moyen d'infléchir cela vers quelque chose de créatif : raconter une histoire à partir des mots de la liste, réaliser une BD mettant en scène les chiffres, etc...
A la page suivante (page 201), Daniel Tammet rappelle que "la métonymie [...est] proche de la pensée très associative des autistes". Ainsi que je le relate dans mon témoignage (chapitre A), ce fonctionnement par association d'idées m'a frappée quand Matthieu a commencé à parler. A l'époque, je trouvais cela handicapant car son laborieux discours était décousu (sauts du coq à l'âne) et incompréhensible pour quiconque voulait converser avec lui. J'avais aussi relevé son fonctionnement "métonymique". Là encore, je ne voyais ce fonctionnement que négativement car pour moi, il empêchait Matthieu de saisir la globalité des choses.
Le fait que Daniel Tammet montre que ces traits autistiques peuvent être les fondements d'une forme (littéraire essentiellement) de créativité est très rassurant. Bien sûr, il ne suffit pas de posséder cette forme de pensée pour devenir un grand poète ou un grand écrivain ! C'est une évidence!
Mais il faut garder en tête que toute originalité à un versant potentiellement positif. Il faut trouver le moyen de laisser ce "plus" s'épanouir. C'est difficile car tout doit rester naturel.
Bref, je dois encore observer Matt. Nous devons continuer à le stimuler, sans chercher à contrarier absolument ce qui fait son originalité, du moment que cela ne le coupe pas des autres.