19 juillet 2014

Matthieu adolescent : un bonobo comme les autres ?


Violette grandit et fait (enfin !) des siestes qui me permettent de prendre le temps de lire et d’écrire.
Pendant ce temps, Matthieu grandit aussi de manière spectaculaire. Ce sont d’abord ses pieds qui m’ont impressionnée, passant en quelques mois du 39 (ma pointure), au 43 (celle de son papa)…Puis un fin duvet (si, si, déjà !) s’est dessiné au bord de sa lèvre supérieure. Ça, ça m’a fait vraiment bizarre mais j’ai fait tout mon possible pour n’en rien laisser paraître. Et je ne parle même pas de sa taille ! Matthieu a toujours été très grand pour son âge, mais là, à 12 ans, il dépasse d’une tête au moins les trois quart de ses congénères. Il est presque aussi grand que moi.

Quant aux transformations plus intimes, je me contenterai de dire que Matthieu semble très bien les négocier, avec pudeur mais sans peurs. S’il pouvait éviter de hurler quand, en été, j’ose une robe, un débardeur ou, pire, un maillot de bain, par crainte d’hypothétiquement apercevoir quelque chose qui pourrait ressembler à un morceau de sein, je pourrais dire qu’il aborde la puberté et l’adolescence incroyablement bien pour un enfant (oups, un (pré)ado) autiste.
Nous avions essayé de préparer le terrain depuis des années en expliquant à Matthieu les transformations inéluctables qu’allaient connaître son corps. Il avait accueilli ces informations d’une manière déconcertante, à savoir en se mettant à parler d’une voix très grave et affectée. Depuis près de deux ans environ, il  s’exprime ainsi, avec une « voix d’ado » comme je le lui dis parfois, ce qui a le don de l’agacer. Maintenant que nous sommes vraiment au seuil de son adolescence, je me dis que c’était sa manière à lui d’anticiper le cours des choses pour se rassurer. Essayer d’avoir une emprise sur la mue, aussi artificielle (et inutile !) soit-elle, l’aide sans doute beaucoup.

Bref, j’observe ces changements, avec circonspection parfois, il faut bien l’avouer, mais je me répète en boucle que je ne dois surtout pas tout gâcher en faisant la moindre remarque à ce sujet. Matthieu ne veut plus me faire de câlins (« Je suis trop grand, maman ! ») : tant pis. J’apprends à respecter son espace intime et je suis heureuse de faire, pour une fois concernant Matt, les mêmes expériences que les autres mamans.
Il y a quelques mois, Matthieu a eu une petite copine –je n’en reviens toujours pas ! Il a traversé des moments difficiles car l’autisme reste toujours là malgré ses progrès et il avait beaucoup ritualisé leur relation. Quand il ne recevait pas un bisou sur la joue à sa descente du bus, par exemple, il pleurait en cours, ce qui, évidemment, n’était socialement pas acceptable. Handicapé par l’autisme dans le décodage des intentions des autres, il avait encore plus de mal qu’un autre à comprendre les subtilités du comportement et du discours d’une pré-ado : « aujourd’hui, je préfère être avec mes copines qu’avec toi » ; « je ne suis plus sûre d’être amoureuse mais peut-être que si quand même »…. AVS, surveillantes et parents (quand nous avons été mis au courant) ont essayé de lui expliquer les subtilités en question. En douceur et à gros renfort de pourcentages –les statistiques sont ses meilleures amies-, nous lui avons fait comprendre que la probabilité que son amoureuse de 6ème soit sa vraie amoureuse pour la vie était proche de zéro. Un jour, sa petite amie redeviendrait une amie tout court, c’était presque sûr. Quand c’est arrivé, après quelques péripéties, Matthieu a décrété qu’elle n’était qu’une « manipulatrice » (la pauvre ! Où a-t-il trouvé cela ?!) et est redevenu parfaitement serein. Au final, j’ai été rassurée, d’une part, de voir qu’il pouvait présenter tous les symptômes de l’amour, d’autre part, de constater qu’il pouvait encaisser une grosse déception sentimentale.

Pour en revenir à l’adolescence, j’ai délaissé mes sempiternels bouquins sur l’autisme pour me plonger dans un ouvrage sur l’adolescence de Natalie Levisalles intitulé L’ado (et le bonobo). Essai sur un âge impossible, paru chez Hachette littératures en 2010. J’ai dévoré cet essai au style drôle et enlevé en une journée. L’auteur y digère les dernières données neuroscientifiques, anthropologiques et sociologiques sur la question pour nous brosser un tableau à la fois humoristique et solidement documenté de ce qu’est l’adolescence. J’avais déjà quelques notions de tel ou tel aspect du sujet grâce à ma lecture assidue de Cerveau et psycho mais j’ai apprécié cette synthèse limpide qui m’a permis de mieux comprendre les questions « d’élagage des connexions superflues entre les neurones » par exemple.  Le passage sur les difficultés de tous les ados dans le domaine de la Théorie de l’esprit m’a aidée à relativiser un petit peu le déficit structurel de Matthieu en la matière. Est-il permis d’espérer que la réorganisation cérébrale de l’adolescence l’aidera, comme les autres, à améliorer ses compétences en la matière ? Nous verrons. En tous les cas, il paraît évident qu’en cette période charnière, le stimuler reste très important. Natalie Levisalles présente les travaux du neuropsychiatre américain Jay Giedd en insistant sur ce qu’il dit de l’élagage de certaines connexions : « use it or loose it » (« tu l’utilises ou tu le perds »). Elle écrit : « Commentaire et mise en garde de Giedd : ce serait dommage de se tromper de choix, c’est peut-être le moment de mettre la pédale douce sur les jeux en ligne et de s’intéresser un peu plus à des choses qui pourraient être utiles plus tard. » Elle nuance aussitôt en faisant allusion à d’autres chercheurs qui ne seraient pas aussi catégoriques mais pour ma part, si j’applique ces quelques lignes à un adolescent avec autisme, je me dis qu’il est encore plus crucial que pour un autre de l’aider à faire le tri. Autrement dit, je pense qu’il faut l'aider encore plus qu'avant à laisser de côté les centres d'intérêts socialement peu acceptables  mais qu'il ne faut pas freiner les centres d’intérêt restreints susceptibles de lui ouvrir une voie professionnelle (j’y reviendrai dans un prochain article) car il est à un âge clé où les choses importantes s’enracinent pour l’avenir.

Je conclurai en  conseillant à tous les « singes néoténiques » que nous sommes la lecture de cet ouvrage, et ce qu’ils soient parents d’adolescents autistes ou neurotypiques.