17 juillet 2013

Autisme et psychoéducation

Je n'arrive pas à croire que je n'ai rien mis en ligne depuis le mois de février ! Pourtant lectures et réflexions se sont accumulées. Je n'aurai pas de trop de tout l'été pour rattraper mon retard et partager mes idées. J'avais en stock depuis un moment le message qui suit et que je viens d'achever. Ce que l'on appelle la "psychoéducation" est un sujet qui me tient à cœur car je crois beaucoup en ses apports. J'espère en faire un exposé parlant et fidèle.



Le « manuel psycho-éducatif pour autistes » de Peter Vermeulen (« Je suis spécial », paru chez De Boeck, 2010) m’a confortée dans ma conviction que pour progresser, une personne avec autisme (et même un enfant) doit connaître la nature exacte de son trouble et comprendre les mécanismes de son fonctionnement cognitif.

Ceux qui suivent le parcours de Matthieu le savent : nous lui avons très tôt dit qu’il était autiste et il gère seul beaucoup de ses comportements inappropriés parce qu’il sait les identifier et que nous avons forgé avec lui des outils adaptés à son âge qu’il peut mettre en œuvre seul pour se canaliser (« Boîte dévoreuse d’autisme », « papiers- exutoires de frustration »…).

Dans son ouvrage, Peter Vermeulen reprend la définition qu’A.E. Ivey donnait de la psychoéducation dans les années 70 : « Le but du modèle de psychoéducation est d’armer les gens des compétences nécessaires afin qu’ils puissent prendre leur vie en main de leur propre manière. » On ne peut être plus clair.

En tant que formatrice sur les Troubles du Spectre de l’Autisme intervenant auprès de collègues du second degré, j’accumule les témoignages d’enseignants qui éprouvent le besoin de connaître l’autisme pour être plus efficaces et qui s’étonnent du flou qui entoure beaucoup de leurs élèves manifestement autistes mais dont les médecins refusent de parler clairement sous prétexte de ne pas étiqueter l’enfant. Ils tombent des nues quand ils constatent que les parents demandent des adaptations sans bien savoir mettre un nom sur le trouble  de leur enfant. Ils sont atterrés quand ils perçoivent le désarroi et la souffrance de jeunes adolescents autistes de haut niveau qui se rendent compte de leur différence mais ne savent pas la gérer. Leurs témoignages sont unanimes : tout serait plus simple si chacun accédait à la connaissance. Personne ne conteste plus que la dyslexie d’un élève soit connue de tous (enfant, parents, enseignants). Il ne devrait pas y avoir de tabou non plus concernant l’autisme. Mon vécu de maman et mon vécu d’enseignante / formatrice m’en donnent la conviction la plus profonde.

Quand l’élève avec autisme qui se trouve dans mon ULIS me demande : « Dis, Anne, pourquoi je suis en ULIS ? Il se passe quoi dans ma tête ? Est-ce que je suis handicapée ? Je ne suis pas folle ?! » et que je ne peux pas lui répondre clairement sous peine d’avoir de gros ennuis avec son médecin, j’oscille entre tristesse et colère. Quand je lui explique son fonctionnement cognitif –sans l’associer à l’autisme puisque je n’en ai pas le droit-, elle est passionnée et elle tient compte de ce que je lui expose et des outils que je lui fournis sans pouvoir aller au bout des explications. Et j’avance avec elle. Mais j’irais tellement plus vite, si je pouvais faire exactement comme avec Matthieu.

Juste avant les vacances, j’ai été invitée à la réunion de préparation de rentrée en lycée technique d’un élève Asperger. Pour peu qu’on le mît sur la voie en lui posant les bonnes questions, il était capable de parfaitement exposer son fonctionnement, ses points de forces et ses limites. Mais il venait d’une école où on lui avait appris à le faire (à Lyon). Je ne m’inquiète pas pour lui d’autant que l’équipe éducative était motivée, bienveillante et attentive. J’ai senti le médecin scolaire épaté par la manière lucide dont il évoquait son trouble. Cela devrait (et pourrait) toujours être comme cela avec des jeunes gens autistes de haut niveau.

 

Mais laissons là mes convictions sur la nécessaire transparence du diagnostic -même si un blog est par essence un lieu où l’on peut partager ses idées en les assumant pleinement- et revenons à l’ouvrage de Peter Vermeulen.

Le passage concernant le « discours socrautique » (néologisme basé sur une contraction de « Socrate » et de « autiste ») est particulièrement intéressant. L’auteur y montre –entre autres passionnantes choses- comment favoriser l’autonomie, la prise d’initiative et la flexibilité d’une personne avec autisme en lui apprenant à se poser les bonnes questions. De nombreux exemples très concrets émaillent sa démonstration. Tel Socrate avec ses disciples, il s’agit, en posant des questions habilement orientées, d’aiguiller en douceur son interlocuteur vers la démarche qu’il devrait adopter pour réussir une tâche (gérer son matériel, s’habiller seul…). A lui d’identifier les étapes à franchir à mesure qu’il répond aux questions posées. Le processus est un peu chronophage mais s’il est répété régulièrement, il permet à la personne avec autisme d’acquérir des réflexes quant à la réalisation de certaines tâches (bénéfice immédiat)  et des stratégies cognitives pour en accomplir de nouvelles (quelles questions dois-je me poser ? quelles étapes me séparent de la tâche qui m’est assignée ?). Je pratique de temps à autres le « discours socrautique » avec Matthieu. C’est très efficace mais il faut que je sois subtile dans l’approche car si je viens vers lui en commençant par « A ton avis, qu’est-ce que tu dois faire pour… ? », il sait qu’il est parti pour un petit dialogue visant à lui faire faire seul quelque chose qu’il aimerait me voir faire à sa place, ce qui le fait parfois râler. Après tout, c’est un pré-ado pas si différent que cela des autres !