Le « manuel
psycho-éducatif pour autistes » de
Peter Vermeulen (« Je suis spécial », paru chez De Boeck, 2010) m’a
confortée dans ma conviction que pour progresser, une personne avec autisme (et
même un enfant) doit connaître la nature exacte de son trouble et comprendre
les mécanismes de son fonctionnement cognitif.
Ceux qui suivent le parcours
de Matthieu le savent : nous lui avons très tôt dit qu’il était autiste et
il gère seul beaucoup de ses comportements inappropriés parce qu’il sait les
identifier et que nous avons forgé avec lui des outils adaptés à son âge qu’il
peut mettre en œuvre seul pour se canaliser (« Boîte dévoreuse d’autisme »,
« papiers- exutoires de frustration »…).
Dans son ouvrage, Peter
Vermeulen reprend la définition qu’A.E. Ivey donnait de la psychoéducation dans
les années 70 : « Le but du modèle de psychoéducation
est d’armer les gens des compétences nécessaires afin qu’ils puissent prendre
leur vie en main de leur propre manière. » On ne peut être plus clair.
En tant que formatrice sur
les Troubles du Spectre de l’Autisme intervenant auprès de collègues du second
degré, j’accumule les témoignages d’enseignants qui éprouvent le besoin de
connaître l’autisme pour être plus efficaces et qui s’étonnent du flou qui
entoure beaucoup de leurs élèves manifestement autistes mais dont les médecins
refusent de parler clairement sous prétexte de ne pas étiqueter l’enfant. Ils
tombent des nues quand ils constatent que les parents demandent des adaptations
sans bien savoir mettre un nom sur le trouble
de leur enfant. Ils sont atterrés quand ils perçoivent le désarroi et la
souffrance de jeunes adolescents autistes de haut niveau qui se rendent compte
de leur différence mais ne savent pas la gérer. Leurs témoignages sont unanimes :
tout serait plus simple si chacun accédait à la connaissance. Personne ne
conteste plus que la dyslexie d’un élève soit connue de tous (enfant, parents,
enseignants). Il ne devrait pas y avoir de tabou non plus concernant l’autisme.
Mon vécu de maman et mon vécu d’enseignante / formatrice m’en donnent la
conviction la plus profonde.
Quand l’élève avec autisme
qui se trouve dans mon ULIS me demande : « Dis, Anne, pourquoi
je suis en ULIS ? Il se passe quoi dans ma tête ? Est-ce que je suis
handicapée ? Je ne suis pas folle ?! » et que je ne peux pas lui
répondre clairement sous peine d’avoir de gros ennuis avec son médecin, j’oscille
entre tristesse et colère. Quand je lui explique son fonctionnement cognitif
–sans l’associer à l’autisme puisque je n’en ai pas le droit-, elle est
passionnée et elle tient compte de ce que je lui expose et des outils que je
lui fournis sans pouvoir aller au bout des explications. Et j’avance avec elle.
Mais j’irais tellement plus vite, si je pouvais faire exactement comme avec
Matthieu.
Juste avant les vacances, j’ai
été invitée à la réunion de préparation de rentrée en lycée technique d’un
élève Asperger. Pour peu qu’on le mît sur la voie en lui posant les bonnes
questions, il était capable de parfaitement exposer son fonctionnement, ses
points de forces et ses limites. Mais il venait d’une école où on lui avait
appris à le faire (à Lyon). Je ne m’inquiète pas pour lui d’autant que l’équipe
éducative était motivée, bienveillante et attentive. J’ai senti le médecin
scolaire épaté par la manière lucide dont il évoquait son trouble. Cela devrait
(et pourrait) toujours être comme cela avec des jeunes gens autistes de haut
niveau.
Mais laissons là mes
convictions sur la nécessaire
transparence du diagnostic -même si un blog est par essence un lieu où l’on
peut partager ses idées en les assumant pleinement- et revenons à l’ouvrage de
Peter Vermeulen.
Le passage concernant le
« discours socrautique » (néologisme basé sur une contraction de « Socrate » et de « autiste ») est particulièrement
intéressant. L’auteur y montre –entre autres passionnantes choses- comment favoriser l’autonomie, la prise d’initiative
et la flexibilité d’une personne avec autisme en lui apprenant à se poser les
bonnes questions. De nombreux exemples très concrets émaillent sa
démonstration. Tel Socrate avec ses disciples, il s’agit, en posant des
questions habilement orientées, d’aiguiller en douceur son interlocuteur vers
la démarche qu’il devrait adopter pour réussir une tâche (gérer son matériel, s’habiller
seul…). A lui d’identifier les étapes à franchir à mesure qu’il répond aux
questions posées. Le processus est un peu chronophage mais s’il est répété
régulièrement, il permet à la personne avec autisme d’acquérir des réflexes
quant à la réalisation de certaines tâches (bénéfice immédiat) et des stratégies cognitives pour en accomplir
de nouvelles (quelles questions dois-je me poser ? quelles étapes me
séparent de la tâche qui m’est assignée ?). Je pratique de temps à autres
le « discours socrautique » avec Matthieu. C’est très efficace mais
il faut que je sois subtile dans l’approche car si je viens vers lui en
commençant par « A ton avis, qu’est-ce
que tu dois faire pour… ? », il sait qu’il est parti pour un
petit dialogue visant à lui faire faire seul quelque chose qu’il aimerait me
voir faire à sa place, ce qui le fait parfois râler. Après tout, c’est un
pré-ado pas si différent que cela des autres !