L'été a été l'occasion de remettre Matthieu en selle, au sens propre. Une vraie gageure.
Matthieu pourrait presque faire mentir l'adage qui dit : "faire du vélo, cela ne s'oublie pas !" On a l'impression que faire du vélo ne sera jamais une procédure automatique pour lui, même si, à chaque tentative, on ne repart pas de zéro, fort heureusement... Nous avons profité de notre séjour près de Ferrare pour emmener Matthieu rouler sur les routes très plates de la plaine du Pô. Il fallait constamment hurler : "Pédale, pédale, pédale. Si tu arrêtes de pédaler, tu tombes !" ou encore "Fixe le sac à dos de papa et reste au bord". Sans ce dernier avertissement réitéré en boucle, Matthieu zigzague et tombe. Si l'on ajoute à ces difficultés motrices, ses réactions disproportionnées face à tel ou tel bruit qui survient derrière lui , alors c'est la catastrophe. Il a failli se faire écraser sous mes yeux car il a fait un incroyable écart au moment où une voiture le doublait ; il est tombé à 2 cm (je n'exagère pas !) du véhicule qui a brusquement freiné. Heureusement que le conducteur était au pas depuis quelques mètres et avait bien remarqué que Matthieu ne maîtrisait pas sa bicyclette, sinon... La leçon a porté : nous ne pouvons nous permettre de rouler avec lui que sur des pistes cyclables ou dans des parcs. Mais même là, c'est dur car nous ne sommes jamais complètement seuls : il y a quelques mois, il a fait tomber un peloton qui le doublait... Le problème, c'est qu'il est tellement grand que les autres usagers ne peuvent pas imaginer que ce garçon (à qui on donnerait facilement 12 ans alors qu'il n'en a que 9 et demi) puisse s'effondrer sans raison apparente sur la route. En discutant avec Matthieu, alors qu'il venait de tomber devant un vélo, il y a quinze jours, j'ai pu me rendre compte du fait qu'effectivement, les autistes ont un problème avec la théorie de l'esprit. Matthieu n'arrive pas spontanément à concevoir que les autres ne soient pas dans sa tête et ne puissent prévoir qu'il va tomber...
Qu'est-ce que "savoir lire" ? Savoir déchiffrer ou comprendre ce que l'on lit ? Qu'est-ce que "savoir faire du vélo" ? Garder un minimum son équilibre en pédalant ou être capable de se déplacer sans danger pour soi ni pour autrui ? Je dois dire, qu'en ce qui me concerne, j'opte pour la deuxième définition et là, je suis pessimiste. Autant je crois que Matthieu a encore une immense marge de progression sur le plan de l'autonomie et de la socialisation, autant je pense qu'il ne pourra jamais se déplacer en vélo (ou, plus tard, en voiture) avec des conditions de sécurité suffisantes. Quand j'étais petite, j'adorais faie du vélo avec mes parents. Je dois avouer qu'être privée de ce plaisir avec Matthieu me fait mal au coeur mais j'aurais mauvaise grâce à me plaindre quand je vois ce que vivent beaucoup de parents d'enfants handicapés au quotidien. Je n'ai toutefois pas pu retenir mes larmes, l'autre jour, en le voyant tanguer au bord d'un fossé. Dans ces moments-là, je suis en colère contre moi-même car je ressasse toutes ces paroles blessantes, ces regards hostiles ou lâches de ma belle-famille qui me viennent alors de manière incongrue à l'esprit : la situation de Matthieu -notre situation- est tellement injuste...
Heureusement, quand Matthieu est sur sa trottinette, j'oublie tout ! Sur cet engin, il fait preuve d'une dextérité stupéfiante, d'une maîtrise incroyable dans de vertigineuses descentes. Il est capable de slalomer à toute vitesse et d'éviter les obstacles. Thierry et moi nous disons que quand Mathieu sera grand, il faudra qu'il habite en ville (une ville pas trop grosse) et que la trotinette y sera son mode de locomotion, en plus des transports en commun.
Il me semble que la trottinette était à la mode pour les adultes il y a quelques années. Est-ce toujours en vogue ? Je l'espère !