A la fin de mon témoignage, je dis combien son écriture a eu valeur d'exutoire pour moi. Les messages mis en ligne sur ce blog ont également cette fonction mais ils me permettent aussi de me faire plaisir tout en partageant les progrès de Matthieu et les quelques idées qui pourraient éventuellement être utiles à d'autres. J'ai pris goût à l'écriture et je ne pourrais plus m'en passer...
Je lisais l'autre jour dans Cerveau et psycho -encore et toujours !- un passionnant dossier de Moïra Mikolajczak expliquant comment "mieux vivre ses émotion" (n°35, septembre-octobre 2009). Après les avoir identifiées et comprises, il faut les exprimer. Cela a l'air évident mais c'est très difficile, j'en sais quelque chose... Et pour un enfant comme Matthieu, cela l'est bien davantage encore... Il semblerait que le simple fait "de nommer une émotion exprimée sur un visage [oralement ou par écrit] diminue l'activité de l'amygdale cérébrale, une zone du cerveau suscitant l'anxiété." Et voilà l'explication scientifique de l'immense soulagement que j'éprouve toujours à écrire quand j'ai l'impression que tout m'échappe et que tout va mal. Et voilà l'explication scientifique du bien immense que fait le dessin à Matthieu -j'ai écrit de nombreux messages à ce sujet, il y a quelques mois maintenant.
Quant aux instants de joie, aux moments de bonheur, cela fait un bien fou de les capturer pour les fixer à jamais et pouvoir à tout moment s'y raccrocher pour se ressourcer.
Les Japonais sont passés maîtres dans l'art d'enregistrer par écrit les instants de grâce du quotidien. En un souffle, leurs haikus saisissent l'éphémère et l'immortalisent à jamais. Ces courts poèmes, reflets d'une culture très différente de la nôtre et exprimés dans une graphie dont on ne peut traduire ni la poésie ni l'intensité, sont merveilleux d'intimité et d'universalité à la fois. Quelques exemples tirés au hasard de l'Anthologie du poème court japonais, parue chez Gallimard :
L'eau devient cristal
les lucioles s'éteignent-
rien n'existe (Chio-ni)
Sur mon chapeau de jonc
plop !
c'était un camélia (Taneda Santôka)
Sur les dessins d'enfants
un soleil tout rouge
dehors la neige en bourrasque (Kaneko Tôta)
Cruche brisée
par le gel de la nuit -
je me lève en sursaut ! (Matsuo Bashô)
Le monde
est devenu
un cerisier en fleurs (Ryôkan)
Il y a deux ans, durant nos vacances en Toscane, j'ai timidement tenté d'écrire des haikus pour célébrer les beautés de cette région dont je suis tombée amoureuse. En voici quelques uns :
Cahin-caha
Trotte
le chemin.
Des mûres bien mûres
s'épanchent
sur le mur.
Les pins
s'arqueboutent
sur les routes.
Les Angélus haut-perchés
se répondent
dans les vallées.
Ces premières tentatives étaient supposées fixer la beauté des paysages. Il y aurait beaucoup à redire sur le plan stylistique, mais dans l'esprit, j'ai réussi mon pari : plus de deux ans plus tard, je revois avec précision les instants qui m'ont inspiré chacun de ces "haikus".
Le plus précieux, c'est assurément la "cueillette" des petits et grands moments du quotidien vécus avec les enfants :
Piquent
les moustiques.
Grosses cloques !
Boire la tasse,
Oups ! Beurck !
Rien de grave !
Des petites filles,
Une balançoire...
Bougent les neurones miroirs !
Depuis un peu de moins d'un mois, j'ai décidé de me remettre à l'écriture de haikus. J'ai relu quelques règles de base afin de m'éloigner le moins possible des canons japonais. Chaque haiku doit faire allusion à la saison durant laquelle il a été rédigé. On voit bien que je ne m'en souciais guère en Italie ! Maintenant je m'efforce -plus ou moins subtilement !-d'introduire systématiquement un kigo (un mot faisant référence à la saison).
L'indispensable concision et l'impératif du kigo nécessitent une discipline d'esprit plutôt stimulante, un amusant petit défi pour moi dont le style était qualifié de "pachydermique" par mon prof de français de prépa (il y a un siècle de cela !!!).
Voici quelques-unes de mes dernières productions, emprisonnant des instants de rire et de grâce passés avec les enfants :
Chemin de Toussaint.
Il gambade autonome
avec ses deux cousines. [J'ai fait un récit détaillé des circonstances qui m'ont inspiré ce haiku dans un de mes précédents messages]
Loin de la brume,
monter la meringue
chatouille les doigts. [Le 8 novembre dernier, Matthieu, Agathe et moi avons confectionné une tarte au citron meringuée. Matthieu a utilisé le batteur électrique -inimaginable quand il était petit- et m'a dit que cela lui chatouillait les doigts.]
Gâteaux de novembre
attrapés au matin.
Piscine de lait. [Ce matin-là, alors que Thierry et moi "paressions" au lit -un bien grand mot!-, Matt et Agathe avaient entrepris de nous préparer le petit-déjeuner. Ils ont renversé le lait mais leur initiative avait quelque chose de miraculeux. Il ne fallait surtout pas l'oublier !]
Lumière arasante d'automne,
Eclat vanille sublime
Dans les yeux de Matthieu. [ Le "vanille" sonne peut-être bizarrement, mais grâce à lui, je me souviendrai toujours que ce beau moment a été saisi alors que nous roulions dans notre petite "panda vanille" ainsi que l'appellent les enfants.]
Un doigt de purée,
des anglaises dorées,
au coin du poele. [Agathe adore les cochons et elle mange comme eux... Ses boucles, ce soir-là, étaient magnifiques, aussi "tirbouchonnées" que la queue d'un petit cochon, justement...]
De généreux rayons,
Paradoxes d'automne,
Chauffent la correctrice. [Notre bureau est magnifiquement exposé, plein sud. Heureusement, car je passe des heures à y corriger mes copies, en cette période de fin de trimestre, tout particulièrement...]
On le voit, quelques mots sont aussi efficaces que de longs discours ! Enfin pour moi... Le haiku est un art au fond très privé. C'est surtout très zen ! Cela me fait le plus grand bien.
Sur son excellent site, Autisme infantile, Nathalie Hamidi consacre une page à la tenue d'un cahier de bord. C'est ce que j'ai pratiqué durant des mois avant d'écrire mon témoignage puis de me lancer dans la rédaction de ce blog.
On peut aussi, pourquoi pas, se doter d'un "carnet de poche à haikus" où immortaliser les progrès de nos enfants, les petits bonheurs du quotidiens et nos moments bien légitimes de mélancolie.